
Certains chrétiens hésitent à voir Dieu au ciel, au-dessus d’eux ; ils préfèrent de beaucoup un Dieu parmi eux, à stature humaine. L’homme ancien, plus sensible à ses propres limites, n’avait pas cette tendance égalitaire. L’humilité n’aura jamais été aussi difficile qu’aujourd’hui, alors que les images hiératiques de Dieu et des saints tendent à s’estomper … et pourtant, Jésus n’hésitait pas à affirmer: « Vous donc priez ainsi: Notre Père qui es dans les cieux » (Matthieu 6, 9). Malgré sa présence parmi nous, avouons que Dieu nous dépasse de beaucoup!
Un Dieu qui planifie. Il fut un temps où rien n’existait sinon Dieu ; même la notion de temps, dans ce contexte, n’a aucun sens. Inutile de chercher l’élément déclencheur de la Création, le domaine divin nous échappe ! Nous savons quand même, par la Révélation, que Dieu est Amour et que l’amour authentique tend au partage. En réfléchissant sur les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament, il est plausible d’y discerner une Pensée divine décrétant de toute éternité cette manifestation de l’Amour, manifestation réalisée par la Création et bonifiée par la Révélation. Cette planification, ce décret ou « dessein bienveillant » (Éphésiens 1, 9), s’exprime dans le temps par la Providence. C’est là l’œuvre attribuée au Père.
Un Dieu qui agit. Nous pouvons avoir de beaux projets mais la plupart d’entre eux demeurent souvent à l’état embryonnaire. Il n’en est pas ainsi en Dieu : pour lui, «vouloir» c’est «faire»! Notons que, dans la Bible, les grands moments de l’agir de Dieu sont souvent attribués à l’Esprit Saint. Ainsi, à la Création, l’Esprit de Dieu planait sur les eaux originelles (Genèse 1, 2) ; au désert, la nuée lumineuse assurait la présence active de Dieu auprès du peuple (Exode 13, 21) ; dans l’Évangile, l’ange Gabriel annonce à Marie que cette même nuée, l’Esprit Saint, la couvrira de son ombre (Luc 1, 35) ; et c’est lors de son « baptême dans l’Esprit Saint » que Jésus débutera officiellement son ministère public (Jean 1, 32). Enfin, la Pentecôte témoignera du don communautaire de l’Esprit comme élément fondateur de l’Église. Donneur de vie, l’Esprit sanctificateur est surtout le Dieu qui agit.
Un Dieu qui réjouit. « Quand je rencontrais tes paroles, Seigneur, je les dévorais; elles faisaient ma joie, les délices de mon cœur » (Jérémie 15, 16). Cette affirmation du prophète exprime bien le rôle irremplaçable de la Parole de Dieu comme source de joie pour tout croyant. Parole créatrice, parole éclairante, encourageante ou réprimante, elle ne laisse personne indifférent car elle est d’origine divine … c’est le Verbe de Dieu ! Et ce Verbe s’est fait chair il y a deux mille ans : sa vie, son ministère, sa mort et sa résurrection sont devenus autant de motifs de réjouissance pour tous les humains. Voilà donc une Parole qui réjouit en manifestant le plan miséricordieux du Père. Et quelle destinée nous propose-t-elle ? « Si quelqu’un me sert, qu’il me suive, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur » (Jean 12, 26). Doux et humble de cœur, Jésus est bien ce Dieu qui nous réjouit en nous dévoilant l’Amour du Père ainsi que l’avenir prometteur qui nous attend !
En terminant, n’ayons garde d’oublier que ces images des Personnes divines ne sont qu’un faible aperçu de ce qu’Elles sont réellement : l’allusion au mystère trinitaire y est, en effet, minime. Des auteurs spirituels, tel dom Augustin Guillerand, se sont efforcés de discerner vaille que vaille les rapports intimes de ces Personnes entre elles dans la simplicité d’une seule Nature ; force est d’admettre que les idées adéquates, en ce domaine, nous échappent. Ne pourrions-nous pas espérer quand même quelque chose de plus précis ? Il semble que oui, car Jésus nous affirme que le meilleur est à venir : «Bienheureux les cœurs purs, ils verront Dieu» (Matthieu 5, 8).
Cloître de la Chartreuse de la Transfiguration ( Vermont, USA)






De pécheresse à missionnaire
La Samaritaine est une femme qui aime … et elle se révèle telle quelle dans sa conversion: une nature toute en bonté, expansive, et qui ne peut que se communiquer. « Elle montre ainsi ce qui a dicté le choix divin à son égard » signale dom Guillerand. Écoutons la suite du commentaire de ce chartreux sur cet épisode évangélique :
« À l’arrivée des disciples, la femme disparaît ; elle s’en va en hâte. Saint Jean a noté un détail suggestif de son état d’âme : elle oublie sa cruche. Elle n’était venue que pour puiser de l’eau matérielle. L’entretien l’a complètement retournée. L’orientation de son âme est vers cette eau supérieure dont un inconnu lui a parlé. Elle ne songe plus qu’à cela ; elle est désaltérée. Jésus lui a communiqué son indépendance à l’égard des réalités matérielles. Elle n’a plus soif, comme il n’a plus faim. Ils sont accordés sur un terrain plus haut dont la pensée les emplit. La Samaritaine a hâte de communiquer son trésor, et Jésus de verser à d’autres le flot vivifiant dont il vient de lui révéler l’existence et le prix. Indépendante à l’égard des besoins de son corps, la Samaritaine l’est également à l’endroit de sa réputation et de son honneur. Jésus a sacrifié les siens pour l’entretenir et l’éclairer ; elle le suit dans cette voie du sacrifice. Elle publie ses désordres; elle les fait connaître elle-même. Puisque Celui qui lui a parlé les connaît, elle ne craint pas que le monde entier les connaisse. Le monde entier, et ce qu’il peut penser, ne compte plus à ses yeux. Un seul être compte, la fait parler, marcher, agir, emplit sa vie : « Ne serait-ce pas le Christ? » (Jean 4, 29). Le Christ, une heure plus tôt, ne tenait pas grande place en son esprit. Sa venue était une préoccupation reléguée dans un plan de son âme qu’elle ne regardait guère. Maintenant elle en déborde ; elle se répand ; il faut que d’autres en jouissent comme elle.
La femme se révèle à cet élan qui se communique. Elle montre ce qui a dicté le choix divin à son égard. Elle aime ; c’est une nature toute en bonté, toute expansive, à l’image de Celui qui est « Charité ». Nul égoïsme en elle qui seul paralyse l’action de Dieu. Son âme est essentiellement communicative, et c’est ce qui a attiré le Maître. Il devait y avoir dans son élan quelque chose d’irrésistible. Le récit de l’évangéliste est, comme toujours, rapide et sans développements inutiles. Cependant il dit tout, et il reproduit fort bien la physionomie des événements et des âmes. Les Samaritains, à la voix de cette étrange missionnaire, sont immédiatement entraînés. Ils se lèvent, ils accourent, ils viennent au puits où le Maître les attend. Pourquoi la voix de cette pauvre créature a-t-elle suffi à provoquer cette démarche de tout un peuple ? Son enthousiasme s’est communiqué parce qu’il partait du fond de son âme et faisait oublier la surface de sa vie. Jésus avait, de sa parole pénétrante, rejoint et remué ces grandes profondeurs où sommeillait la vérité de son être. Elle était subitement devenue toute autre ; et c’est cette nouvelle personnalité qui parlait, agissait, se communiquait à ce peuple. »
(Écrits spirituels, tome 1, page 233 s)
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