Commentant le Prologue de Jean, dom Augustin s’arrête tout d’abord au fait que Dieu est de toute éternité. Entre Lui et nous, il existe nécessairement un abîme que Lui seul peut franchir; un abîme de silence que le chartreux nous invite néanmoins à écouter:
« Au commencement était le Verbe » (Jean 1, 1)
« Voilà le premier trait de la divine physionomie que l’évangéliste a contemplée et qu’il veut nous peindre pour que nous puissions le contempler nous aussi, et l’aimer comme il l’a aimée: elle est vie éternelle. Jésus, Verbe incarné, Verbe éternel avant de s’incarner, déborde notre temps; il le précède; il précède toutes les choses que notre temps mesure; il est avant elles, il est plus grand qu’elles. Quand elles ont commencé, « il était ».
Quand ont-elles commencé? Qui le dira jamais? Les savants cherchent à le savoir; ils multiplient les études, les recherches, sans grand succès. Peut être il y a des milliers et des milliers de siècles? Peu importe! Si nombreux qu’ils soient ces siècles, d’un coup d’aile l’évangéliste se reporte, et nous reporte avec lui, par delà, au tout premier, au début de tout, à la première lueur de la première aurore, au premier mouvement des mondes, et nous dit: « Celui dont j’ai à vous parler était là! ». « Il était », il ne commençait pas. Notre temps ne le mesure pas; sa durée n’est pas notre durée; son mouvement n’est pas notre mouvement.
Je suis dans un monde tout nouveau, où rien ne commence, ni ne continue, ni ne finit. Réalité étrange dont je ne puis même pas avoir une idée précise! Autour de moi, en moi, tout est régi par la durée successive parce que tout se succède, tout est présent, passé ou avenir; tout se meut le long de cette ligne ou de ce que je me représente comme une ligne; tout est compris dans un avant et un après qui le limitent. Le Verbe est en dehors; il ne se meut pas; il demeure: « Il était ». Pour lui, ni passé ni avenir; il est tout entier au présent, mais à un présent qui n’est pas le nôtre, si ténu et insaisissable. De là, cet imparfait: « Il était ». Il ne désigne pas une imperfection en lui, mais en moi, dans ma pensée impuissante, dans mes mots trop courts. Il est plus grand que je ne puis dire ou concevoir. Je me lasse vainement à poursuivre une telle grandeur; je ne puis que croire, abîmer mon esprit devant elle … écouter, dans cette abîme et ce silence, la Parole qui ne commence pas et par laquelle tout a commencé, entrer avec elle dans l’immensité où elle retentit, qui est sa demeure, où elle veut que je demeure avec elle et que je dise ce qu’elle dit! »
(Écrits spirituels, tome 1, page 91 s)
Tel un aigle dans les hauteurs
« Au commencement était le Verbe » (Jean 1, 1). Même si dom Guillerand a connu, aimé et adopté comme guides de sa vie spirituelle des sommités comme saint Augustin et saint Thomas d’Aquin, il n’est pas exagéré de dire avec son biographe, le jésuite André Ravier, que cet éminent chartreux n’avait qu’un seul véritable maître en ce domaine: saint Jean l’Évangéliste. Son style de contemplation est bien celui de l’auteur du Prologue du quatrième évangile: « Jean se répète, écrit dom Augustin, il reprend sa formule; il éprouve le besoin de rester un instant sur les hauteurs, en face de cette Réalité qui pour lui est tout … De là le mouvement si spéciale de sa pensée; elle avance lentement, parfois elle s’arrête, elle semble même reculer de temps en temps, et comme revenir en arrière pour mieux prendre possession de son objet et en jouir. » (Introduction aux Écrits Spirituels, page XI). Ce moine avouera lui-même: « Je suis comme un oiseau qui tournoie autour d’un sommet avant de s’y poser … Sur ce sommet, je trouve tout » (ibidem).
De ce contemplatif du 20e siècle, j’aimerais vous présenter dans les semaines qui viennent quelques extraits de ses méditations sur le Prologue de Jean. De tous ses écrits, ces méditations sont comme le texte-clé de l’âme et de la pensée de dom Augustin. Bien que l’influence de saint Jean sur cet ancien prêtre de Nevers ait été antérieure à son entrée en Chartreuse en 1916 (Valsainte, Suisse), il n’est pas négligeable de savoir que la rédaction de ce commentaire s’est faite à la fin de sa vie, entre 1940 et 1945, au berceau de l’Ordre, la Grande Chartreuse, qui venait de rouvrir ses portes. Il devait y mourir à l’âge de 67 ans, le 12 avril 1945, après trente ans de vie religieuse.
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