L’approche de la Semaine Sainte nous invite à mettre de côté nos activités pour consacrer plus de temps à la contemplation du Crucifié. Et c’est très bien ainsi, car le Carême ne revient qu’une fois par année. Subsiste néanmoins le risque de minimiser notre service terrestre des hommes comme étant très secondaire … Or, nous ne sommes pas, pour la plupart d’entre nous, voués à la contemplation pure à l’exemple des moines et des moniales. Voici comment s’exprime le magistère de l’Église en traitant de la transformation du monde par les chrétiens:
« Le Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, s’est fait chair et est venu habiter la terre des hommes. Homme parfait, il est entré dans l’histoire du monde, l’assumant et la récapitulant en lui. Lui-même nous révèle que Dieu est amour et nous enseigne en même temps que la loi fondamentale de la perfection humaine, et donc de la transformation du monde, est le commandement nouveau de la charité. À ceux qui croient en l’amour divin, il apporte la certitude que la route de la charité est ouverte à tous les hommes, que l’effort pour instaurer une fraternité universelle n’est pas vain.
Jésus nous avertit aussi que cet amour ne doit pas seulement être recherché par des actions d’éclat, mais avant tout dans le quotidien de la vie. En acceptant de mourir pour nous tous, pécheurs, il nous apprend, par son exemple, que nous devons aussi porter cette croix que la chair et le monde mettent sur les épaules de ceux qui recherchent la justice et la paix. (…) Sans doute, les dons de l’Esprit sont divers; il appelle les uns à témoigner ouvertement du désir de la demeure céleste et à garder vivant ce témoignage dans la famille humaine; et il appelle les autres à se vouer au service terrestre des hommes, en préparant par leur ministère la matière du royaume des cieux. Mais de tous il fait des personnes libres pour que, renonçant à l’amour égoïste et rassemblant toutes les énergies terrestres au service de la vie humaine, elles s’élancent vers cet avenir où l’humanité elle-même deviendra une offrande agréable à Dieu. » (Concile Vatican II, L’Église dans le monde de ce temps, 37-38)
Conclusion: il nous faut donner des mains à notre foi. Notre effort de Carême ne s’arrête pas avec la Semaine Sainte mais il doit se poursuivre au delà … pour la transformation de notre société!
De pécheresse à missionnaire
La Samaritaine est une femme qui aime … et elle se révèle telle quelle dans sa conversion: une nature toute en bonté, expansive, et qui ne peut que se communiquer. « Elle montre ainsi ce qui a dicté le choix divin à son égard » signale dom Guillerand. Écoutons la suite du commentaire de ce chartreux sur cet épisode évangélique :
« À l’arrivée des disciples, la femme disparaît ; elle s’en va en hâte. Saint Jean a noté un détail suggestif de son état d’âme : elle oublie sa cruche. Elle n’était venue que pour puiser de l’eau matérielle. L’entretien l’a complètement retournée. L’orientation de son âme est vers cette eau supérieure dont un inconnu lui a parlé. Elle ne songe plus qu’à cela ; elle est désaltérée. Jésus lui a communiqué son indépendance à l’égard des réalités matérielles. Elle n’a plus soif, comme il n’a plus faim. Ils sont accordés sur un terrain plus haut dont la pensée les emplit. La Samaritaine a hâte de communiquer son trésor, et Jésus de verser à d’autres le flot vivifiant dont il vient de lui révéler l’existence et le prix. Indépendante à l’égard des besoins de son corps, la Samaritaine l’est également à l’endroit de sa réputation et de son honneur. Jésus a sacrifié les siens pour l’entretenir et l’éclairer ; elle le suit dans cette voie du sacrifice. Elle publie ses désordres; elle les fait connaître elle-même. Puisque Celui qui lui a parlé les connaît, elle ne craint pas que le monde entier les connaisse. Le monde entier, et ce qu’il peut penser, ne compte plus à ses yeux. Un seul être compte, la fait parler, marcher, agir, emplit sa vie : « Ne serait-ce pas le Christ? » (Jean 4, 29). Le Christ, une heure plus tôt, ne tenait pas grande place en son esprit. Sa venue était une préoccupation reléguée dans un plan de son âme qu’elle ne regardait guère. Maintenant elle en déborde ; elle se répand ; il faut que d’autres en jouissent comme elle.
La femme se révèle à cet élan qui se communique. Elle montre ce qui a dicté le choix divin à son égard. Elle aime ; c’est une nature toute en bonté, toute expansive, à l’image de Celui qui est « Charité ». Nul égoïsme en elle qui seul paralyse l’action de Dieu. Son âme est essentiellement communicative, et c’est ce qui a attiré le Maître. Il devait y avoir dans son élan quelque chose d’irrésistible. Le récit de l’évangéliste est, comme toujours, rapide et sans développements inutiles. Cependant il dit tout, et il reproduit fort bien la physionomie des événements et des âmes. Les Samaritains, à la voix de cette étrange missionnaire, sont immédiatement entraînés. Ils se lèvent, ils accourent, ils viennent au puits où le Maître les attend. Pourquoi la voix de cette pauvre créature a-t-elle suffi à provoquer cette démarche de tout un peuple ? Son enthousiasme s’est communiqué parce qu’il partait du fond de son âme et faisait oublier la surface de sa vie. Jésus avait, de sa parole pénétrante, rejoint et remué ces grandes profondeurs où sommeillait la vérité de son être. Elle était subitement devenue toute autre ; et c’est cette nouvelle personnalité qui parlait, agissait, se communiquait à ce peuple. »
(Écrits spirituels, tome 1, page 233 s)
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