Le travail manuel, dans la société contemporaine, est souvent sous-estimé pour de multiples raisons et rarement apprécié à sa juste valeur. L’homme moderne, toujours empressé, dédaigne tout travail qui lui semble lent et insignifiant ; ses horizons se limitent à l’efficacité et au rendement et il oublie souvent de respirer et de perdre du temps. Les moines ont toujours lié leur vie de prière à un modeste cadre de travail, comme le laisse entendre la devise bénédictine: « Ora et labora » (Prie et travaille). La Sainte Famille de Nazareth demeure la plus belle illustration de ce mode de vie, même pour nous au 21e siècle. Je laisse donc la parole à un moine chartreux, dom Augustin Guillerand, pour nous en parler de façon plus précise:
« Le travail manuel, on n’y pense pas assez, a été élevé par Jésus, Fils de Dieu, à une dignité que l’on pourrait presque appeler la dignité d’un sacrement. Notre-Seigneur, c’est l’homme par excellence. Il est le premier voulu de Dieu ; il est l’être humain idéal que tous doivent reproduire ; la Sainte Famille de Nazareth est l’exemplaire, le modèle. Dieu les aime plus que tous ; il aime les autres s’ils leur ressemblent. Or le cadre de leur vie : le travail.
Vous me direz : il s’agit de leurs âmes, de leurs vertus, de leur beauté intérieure et spirituelle ; et c’est vrai, il ne s’agit pas du cadre. Mais il est vrai aussi que le cadre n’a pas nui. Saint Joseph et Notre-Seigneur dans l’atelier, la Vierge dans l’humble appartement qui servait de cuisine, n’étaient pas gênés pour vivre la vie d’âme la plus haute qui puisse être. Mais il y a plus ; la distinction que nous établissons entre le cadre extérieur et la vie intérieure est plus artificielle qu’on ne pense. Je vous disais plus haut : Jésus est l’idéal, l’homme parfait, la première volonté de Dieu ; et la Sainte Famille est la reproduction du ciel ici-bas : on l’appelle « la Trinité de la terre ». Or, ils ont passé leur vie dans le travail manuel ; le travail n’a pas été pour eux un exercice, il n’a pas employé quelques jours de leur vie, ni quelques instants de leurs jours : il a rempli leurs jours et leur existence.
Dieu a donc voulu que les trois personnes qui sont au sommet de son œuvre créée passent leur vie dans le travail manuel ; il a établi entre eux et le travail un lien étroit, permanent. Le travail est donc quelque chose qui non seulement ne s’oppose pas à l’union à Dieu mais doit la favoriser. Car Dieu ne veut que cela : nous unir à lui ; il nous donne la vie pour relier ; il règle tout pour cela. Nous pouvons, nous devons nous en rapporter à lui à cet égard. Il sait, lui, ce qui convient. Mais pourquoi ? Les raisons de Dieu ne nous regardent pas : il ne faut pas vouloir les pénétrer trop : mais croire humblement que tout ce qu’il fait est bien, tout ce qu’il veut est bien ; cela est plus simple et plus sûr. «
(Écrits spirituels, tome 2, page 172 s)