Nicodème, docteur juif, est impressionné par le ministère de ce jeune thaumaturge et, le considérant comme un homme de Dieu, veut obtenir de lui une ligne de conduite pour sa vie spirituelle. La réponse de Jésus est des plus déconcertantes: « Il faut renaître! ». Écoutons le commentaire de dom Guillerand à ce sujet:
« Nicodème parle au nom d’un groupe, peut-être assez nombreux. À ce début de la vie publique, Notre-Seigneur n’avait pas encore déchaîné l’hostilité des dirigeants. Les miracles frappaient des âmes neuves, dans l’attente d’un envoyé divin, et provoquaient en elles l’intérêt, l’espérance; le désir de se renseigner, de faire avec ce thaumaturge une connaissance plus poussée est tout naturel. Le docteur juif n’hésite pas à avouer son impression nettement favorable qui est déjà la foi. Ce qu’il demande, ce n’est pas que cette foi soit accrue, c’est de connaître à quoi elle l’oblige et quels devoirs pratiques elle lui impose. Il est en face de quelqu’un qui parle et agit au nom de Dieu. Il veut savoir de lui ce que Dieu demande pour lui faire place en son royaume attendu.
C’est en ce sens que Jésus lui répond … et il répond certainement dans le sens où cette âme lui parle. Pour avoir place au royaume de Dieu, une seule condition est requise: « Il faut renaître: renasci denuo ». La réponse du Maître porte sa marque; elle va droit au but: nul détour, nulle parole de présentation, nul compliment, rien d’humain. Sa formule va déconcerter son interlocuteur; il ne s’en soucie pas. Vraisemblablement même, il veut cette impression qui frappe un esprit et le rend plus attentif.
Le résultat est obtenu, Nicodème n’en revient pas: « Comment, dit-il, un homme déjà âgé peut-il renaître? ». On ne naît qu’une fois, comme on ne meurt qu’une fois. Quand on est entré dans la vie, on ne peut plus qu’avancer sur le chemin: retourner en arrière est impossible. Le docteur a raison, Jésus aussi. Mais ils ne sont pas sur le même terrain et ne parlent pas la même langue. Jésus parle la langue du divin royaume, Nicodème celle de la terre. Ils ne s’entendent pas; ils s’entendront quand le Sauveur aura attiré et entraîné cette âme chez lui, comme il a fait déjà pour les deux disciples qui lui ont demandé où il habitait: « En vérité, en vérité je vous le déclare, si un homme ne renaît de l’eau et de l’Esprit-Saint, il ne peut entrer au royaume de Dieu ». Jésus reprend son affirmation en lui donnant un caractère plus solennel qui sera courant dans son langage quand il abordera un point de doctrine capital et déconcertant: « En vérité, en vérité » veut dire: je vous assure qu’il en est ainsi et qu’il est impossible qu’un esprit s’accorde à mon esprit s’il ne s’ouvre à cet enseignement. À cette affirmation solennelle Notre-Seigneur ajoute déjà un commencement d’explication. La nouvelle naissance dont il parle n’exige pas un retour au sein maternel. C’est une naissance de l’Esprit; il faut donc rentrer dans cet Esprit. Il révèle ainsi immédiatement où il faut le rejoindre, et ce qu’il apporte au monde. »
(Écrits spirituels, tome 1, page 188 s)