En ce temps qui est le nôtre, la grandeur d’un personnage (civil ou religieux) n’a rien de très rassurant, tant il est vrai qu’un simple ragot à connotation sexuelle peut faire basculer une opinion publique toujours friande de scandales. Inutile de donner des exemples. En cette fête de Jean le Baptiste, dom Guillerand nous parle de la véritable grandeur du précurseur de Jésus, grandeur pas tellement devant les hommes mais devant Dieu. Écoutons-le:
« Saint Jean-Baptiste occupe dans l’Évangile et dans la piété chrétienne une place à part. C’est justice: par deux fois le bon Dieu lui-même a voulu affirmer sa grandeur. Au nom du ciel, l’ange Gabriel, en annonçant sa naissance, dit formellement: « Il sera grand » (Luc 1, 15). Trente-trois ans plus tard, quand, déjà en prison, il a achevé son ministère, le Maître dit de lui aux foules: « Parmi les enfants des hommes nul n’a été plus grand que Jean-Baptiste » (Matthieu 11,11). Toute sa vie se déploie entre ces deux attestations qui le qualifient.
Cette grandeur n’est pas une simple grandeur humaine. Ce n’est pas une de ces supériorités naturelles auxquelles le monde, et même parfois les âmes religieuses, attachent beaucoup trop d’importance, grandeurs d’un jour, plus ou moins factices, souvent seulement factices, et même quand elles sont réelles, toujours inférieures, très inférieures. De la grandeur de Jean-Baptiste, l’ange dit expressément: « Il sera grand devant le Seigneur ». Sa grandeur sera la grandeur qui peut soutenir le regard du Dieu de vérité et qui ne redoute pas sa lumière. Notre-Seigneur précise et renchérit: « Qu’êtes-vous allés voir au désert, dit-il aux Juifs? Est-ce un roseau agité par le vent? », c’est-à-dire un homme qui est à la merci des mouvements si capricieux de l’opinion humaine plus mobile que les roseaux des bords du fleuve qui coulait à quelques pas? Est-ce un homme vêtu de vêtements moelleux et soucieux de tout ce qui est caresse à ses sens? Non. Vous êtes allés voir un prophète, c’est-à-dire un homme de Dieu, qui voit tout et tous dans la lumière divine, qui apprécie tout et tous dans le rapport avec la gloire de Dieu. (…)
Les disciples de Jean se plaignaient un jour de ce que Jésus baptisait de son côté et que tous allaient à lui. Jean répondit: « Lui est l’époux, moi je ne suis que l’ami de l’époux ». Le rôle de l’ami consiste à se tenir aux côtés de l’époux, et toute sa joie est de l’écouter. Et il ajoutera: « C’est là ma joie, et elle est complète … Croire cela, croire au Fils qui est l’époux, se donner à lui, c’est la vie éternelle » (Jean 3, 29.36). Cette fois, nous sommes arrivés à l’extrême fonds de son âme et au sommet de sa grandeur. Le divin tressaillement qu’a été sa vie, s’achève là, aux côtés de l’époux, écoutant sa voix, ne faisant que cela, y trouvant repos et félicité, et convaincu que, sous le régime de la foi et dans les ombres de la terre, c’est vraiment cela la vie éternelle commencée: « Qui croit au Fils a la vie éternelle ».
(Écrits spirituels, tome 2, page 48 et 50)