Chartreuse de Montrieux (en Provence, France)
En cette année consacrée à la Miséricorde divine, voici comment un moine chartreux nous en donne un bel exemple dans son commentaire de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine (Évangile de Jean, chapitre 4):
« La Samaritaine ne se ferme pas à la lumière qui la découvre: elle reconnaît de plus en plus en celui qui lui parle un être supérieur qui lui inspire toute confiance et elle se courbe devant cette lumière qui pourtant l’humilie. Elle reconnaît sa misère et elle en fait l’aveu: «Je n’ai pas de mari.» Peut-être pourrait-on entendre cette réponse dans un sens plus sévère et y voir une dérobade. L’aveu me semble beaucoup plus dans le style de cette âme essentiellement sincère et qui a conquis la grâce par cette sincérité. Le divin Maître ne lui donne pas le temps de s’expliquer; il a hâte de poursuivre et d’achever son œuvre. La terre est bonne, elle peut porter moisson; il presse la levée du grain et la récolte: «Tu as parlé juste en disant: Je n’ai pas de mari car tu as eu cinq maris et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari; en cela tu as dit la vérité.»
L’entretien reste manifestement confiant de part et d’autre. Jésus ne s’arrête pas à la faute; il ne cherche pas à humilier. Nul reproche et même aucune allusion à ce qu’il y a de répréhensible dans la situation de cette femme. Elle a été sincère, elle a reconnu ses fautes. Il ne relève que cela et il le fait avec insistance: «Tu as dit vrai.» Il reprend deux fois la formule en ces quelques mots qui sont en définitive des félicitations. Il ferme les yeux sur le mal pour ne voir que le bien et préparer la magnifique récompense.
La Samaritaine le sent; consciemment ou non l’attrait divin l’envahit, la rapproche, éveille en son âme des soucis et des mouvements nouveaux. La pénétration de celui qui lui parle révèle un homme en contact avec le Ciel et qui peut éclairer les problèmes religieux dont son âme est tout de même préoccupée en son fond: «Je vois, dit-elle, que vous êtes prophète.» Une telle science , même quand elle reste dans les limites de notre nature, nous impressionne. Quand elle est la science même de Dieu communiquée à un homme, elle produit en nous un sentiment de grandeur , de puissance qui nous rappelle à notre mesure. Nous sommes arrachés au mouvement de la bagatelle et transportés dans le domaine de ce qui seul compte et demeure. Nous sommes mis en face de l’Être vrai, de la Lumière vraie; nous sommes dans la vérité.
La Samaritaine est soulevée au-dessus d’elle-même. Les pensées de religion, que son existence pécheresse recouvrait et lui faisait perdre de vue habituellement, reviennent en surface ou, pour mieux dire, la lumière qui vient de pénétrer en elle les lui révèle au fond trop oublié de son âme. Et cette fois, elle se rapproche de celui qui lui parle, elle le rejoint sur le terrain spirituel où il l’attire: «Nos pères ont adoré sur la montagne qui est là; et vous, Juifs, vous dites que Jérusalem est le lieu où il faut adorer.»
(Écrits spirituels, tome 1, page 227ss)