Monastère de la Grande-Chartreuse (en Isère, France)
Dom Augustin Guillerand a vécu ses dernières années à la Grande-Chartreuse, maison-mère de son Ordre, non loin de Grenoble. Voici ce qu’il écrivait à un ami concernant la connaissance de soi et la juste mesure à observer dans ce domaine:
« Nous sommes meilleurs que nous ne pensons, et les autres aussi. Il existe une juste mesure assez difficile à trouver entre l’optimisme qui ne voit que le bien et le pessimisme qui ne voit que le mal; c’est qu’il y a du bien et du mal mêlés dans l’œuvre divine. Le mal est plus visible que le bien parce qu’il est en surface, mais le bien l’emporte en définitive. Quand on a l’occasion de parler intimement avec une personne, on est toujours favorablement surpris; elle est meilleure qu’on ne croyait. Croyons donc au bien en nous et croyons au bien dans les autres. Ce sont là des vues divines. Le monde était affreusement mauvais quand Jésus est venu et ce mal ne l’a pas arrêté.
Il faut donc que nous n’ayons plus peur ni de nous-mêmes ni des autres. Il faut regarder la vie réelle en face. C’est ce regard profond et prolongé qui nous donnera Dieu, car Dieu est au fond de tout. Tout est parce qu’il l’a voulu ou permis. Et si le mal permis par Dieu nous effraie, disons-nous qu’au fond de ce mal il y a un bien, et c’est ce bien qui est voulu. Je puis donc dire, même en pensant au mal, qu’un vouloir de Dieu se cache au fond de tout. C’est ce vouloir que nous cherchons. Nous souffrons de ne pas le trouver autant que nous le voudrions. Cette souffrance est noble. Remercions Dieu de l’avoir déposée au fond de notre cœur comme un appel de lui à nous et de nous à lui.
Mais consolons-nous; il y a un remède, c’est la foi vraie. Il existe une foi qui adhère aux vérités avec la seule intelligence et il en est une autre qui adhère avec le cœur. La première ne suffit pas, elle est froide et distante ; elle n’unit pas, elle nous laisse loin de Dieu et vides. La deuxième nous comble parce qu’elle fait l’union. Cette foi vraie et vivante est comme une prise de possession de Dieu. Il devient nôtre, il devient l’Hôte aimé de l’âme. Et l’âme, dégagée des choses, n’a plus qu’à se tourner vers lui par une pensée aimante pour réaliser l’intimité rêvée.
Voilà il me semble où Dieu nous appelle. On n’y arrive qu’après un long voyage qui nous sépare des créatures et de nous-mêmes. Nous aurons le courage d’accomplir ce long et dur parcours, et nous connaîtrons la joie du terme atteint. »
(Écrits spirituels, tome 2, page 221s)