Dans son livre « Insight » paru en 1957, le jésuite canadien Bernard Lonergan fait allusion à la foi populaire de plusieurs Chrétiens qui, tout en confessant religieusement « Un Dieu en trois Personnes », les traitent en pratique comme trois Dieux, à leur insu bien sûr ! C’est qu’il est excessivement difficile pour monsieur Tout-le-monde d’assimiler adéquatement ce mystère insoluble dans l’exercice de sa vie chrétienne. D’où, par exemple, la difficulté pour un très grand nombre d’identifier le Dieu d’Israël comme étant l’une des trois Personnes divines … comme si ce Dieu des Juifs était plutôt la synthèse des Trois Personnes divines révélées plus tard par Jésus-Christ : y aurait-il là un quatrième Dieu qui englobe les autres ? Un concept malheureusement renforcé, bien qu’involontairement, par nos théologiens occidentaux suite à leur emphase maladroite de l’unique Nature de Dieu, au détriment des Personnes divines : l’image, pour les non-initiés, d’un Dieu « supérieur » qui comprendrait implicitement trois Personnes divines. Ouf !
Un faux dilemme, évidemment ! Rappelons-nous que Jésus n’est pas venu sur terre pour fonder une nouvelle religion mais bien pour accomplir les Écritures juives. Il était Juif, né d’une famille juive et fier de ses racines (en concordance avec son statut de Messie promis à Israël). S’il a simplifié la religion révélée et s’il a signé de sa mort une nouvelle et éternelle Alliance, c’était avant tout par souci d’élargir l’accessibilité de la connaissance du vrai Dieu au plus grand nombre possible de ses coreligionnaires et de ses frères humains. Le Dieu d’Abraham, ce Dieu « de l’Ancien Testament » qu’il a aimé, qu’il a prié et auquel il s’est offert en victime d’expiation pour les péchés du monde, est bien celui qu’il appelle Père et au Royaume duquel il veut intégrer tous ses disciples : un Dieu, dit-il, qui seul est bon, qui seul est Père, qui seul est saint. Bref, le Christ n’est pas venu sur terre pour prendre la place de Dieu mais au contraire pour servir de Chemin à sa connaissance unitive et béatifiante.
Un Dieu en trois Personnes. Mystère qui nous dépasse facilement, avouons-le ! Il n’en reste pas moins que l’Église, animée par l’Esprit, nous fait vivre ce mystère trinitaire par sa catéchèse et par sa liturgie : en effet, la quasi-totalité des prières de la messe (ainsi que des sacrements) sont dirigées vers le Père et ne se réfèrent à Jésus que pour en appeler à ses mérites (« Par Jésus Christ, ton fils, Notre Seigneur … »). Depuis 4 000 ans, le Père ne cesse d’être le Dieu de tous les croyants et, depuis 2 000 ans, nous les Chrétiens jouissons de cette familiarité que donne la vie dans l’Esprit et de cette identité avec le Fils que donne le baptême. La divinité de ces deux dernières Personnes ne doit donc pas nous distraire du Dieu Père mais au contraire nous unir à Lui d’avantage : « Vous donc priez ainsi : Notre Père qui es dans les cieux … » (Matthieu 6, 9).