En ce temps de la Passion, il convient de se pencher sur nos relations avec le Christ souffrant. Pouvons-nous cultiver une grande amitié avec Jésus tout en faisant abstraction de son parcours ultime, à savoir son offrande pour le salut du monde ? La réponse se trouve peut-être dans ce que l’Église appelle la compassion de Marie « et toi-même, un glaive te transpercera l’âme ! » (Luc 2, 35). Laissons la parole à un maître spirituel averti, dom Augustin Guillerand :
« Jésus veut l’union ; il ne peut pas ne pas la vouloir, car il est l’Amour. Il faut que ceux qu’il aime soient là où il est ; quand il est en croix, il faut qu’ils souffrent avec lui ; quand son cœur est percé d’un glaive, il faut que la pointe s’enfonce au cœur des siens. On ne peut être « sien » qu’à cette condition. Il ne peut se passer d’eux sous le pressoir parce qu’il ne veut pas être sans eux dans le triomphe et le bonheur.
Il passera sa vie sous la menace, l’annonce claire et précise du glaive, et cette menace sera une souffrance qui ne lui laissera pas de trêve. Nous ne comprenons pas cette continuité ; heureusement, ou malheureusement, nous avons des heures innombrables d’inconscience; le mal est là mais nous ne le sentons plus, le mal moral surtout. D’autres pensées ou d’autres sentiments le remplacent, le relèguent dans l’ombre. Jésus a vécu dans le sentiment constamment présent et vif de la prédiction de Siméon, dans l’impression de la grande souffrance qui l’attend ; il a vécu sans arrêt cette souffrance en son cœur et il l’a fait participer à Marie. Ils ne font qu’un pendant trente-trois ans sous la pointe du glaive. Les deux cœurs n’en font qu’un, et tous deux ensemble sont frappés constamment, et tous deux souffrent de leur propre souffrance et de celle de l’autre.
Tous deux souffrent mais tous deux voient. La Lumière illumine cette souffrance, la traverse, en montre le par-delà, et ce par-delà c’est la joie car c’est l’amour, et c’est l’union. La souffrance est un chemin qui débouche sur le bonheur. En route on ne voit rien que la souffrance ; elle fait ombre de tous côtés ; à peine, à travers le mouvement des branches noires qui bordent le chemin, quand un coup de vent les agite ou quand la lumière est très vive, à peine devine-t-on que le grand soleil illumine toutes choses et qu’on le trouvera au bout du parcours.
Jésus a voulu cela pour lui et sa mère … et après eux pour tous ceux qui voudront venir à leur suite. Il a voulu le parcours, il a voulu la foi qui soutient en le faisant, il a voulu le terme qui paye l’effort et réconforte dans la route. »
(Écrits spirituels, tome 2, page 84 s)