S’il est naturel pour un croyant de prier, il est par contre plus difficile de prier avec les dispositions requises … la parabole du pharisien et du publicain illustre sans contredit cette triste constatation! Tout s’enracine dans la qualité de notre foi. Qui est Dieu ? Et surtout, qui suis-je ? « Je suis celui qui est, disait Dieu à Catherine de Sienne, et toi celle qui n’est pas. » La clé de nos relations avec le divin repose donc dans les humbles sentiments qui conviennent à la créature. La vie de tout moine étant axée sur l’humilité, il n’y a pas à se surprendre si notre ami chartreux, dom Augustin Guillerand, y a consacré quelques lignes des plus éclairantes. Écoutons-le:
« L’homme n’existe que si Dieu lui communique l’être. La religion naît de cette communication. Et la prière, qui n’est en somme que la religion en acte, est le mouvement de l’âme qui reconnaît qu’elle reçoit, et qu’elle n’a que ce qu’elle reçoit. Confesser cela, c’est la prière essentielle … et c’est l’humilité. (…) La vraie prière est peut-être une chose très rare parce qu’il y manque cette base nécessaire : la mise en présence du divin interlocuteur. On ne sait pas, on ne songe pas, on ne sent pas assez qu’il est là vraiment, qu’il regarde, écoute, parle, aime et se donne. Il n’est trop souvent qu’une pensée de notre esprit que d’autres pensées supplantent. Il n’est pas le « doux hôte de l’âme », l’Ami et le Père. Avant de commencer la prière, il faudrait se dire et redire intensément cela. (…)
La prière qui se fait dans cet esprit-là est la vraie prière. L’humilité est impliquée dans la foi, dans la soumission respectueuse et adorante de l’âme en prière. (…) L’âme qui prie implore la communication de l’Esprit d’amour ; elle demande à Dieu de se donner à elle; elle demande donc ce qu’il désire infiniment. Entre ce désir infini de Dieu et la prière de cette âme, il y a donc consonance, harmonie, accord parfait. L’âme humble reconnaît qu’elle n’a pas en elle-même cette tendance à se donner qui est essentiellement divine. Elle reconnaît qu’elle ne peut l’avoir que si l’Amour essentiel la lui communique.
Les exemples de cette toute-puissance de l’humilité sont incontestablement très impressionnants. Jésus, comme il convient, tient la tête, avec son pauvre corps brisé, sa face couverte de crachats, tout son être ignominieusement traité, n’ayant plus même la forme humaine, fait mépris après s’être fait homme, à l’extrême fond de l’anéantissement … et à cause de cela, dit saint Paul, exalté au-dessus de tous et de tout. Après lui, l’humble Vierge : « Il a bien voulu abaisser son regard sur l’humilité de sa servante » (Luc 1, 48). L’humilité, voilà ce qu’il a vu et aimé et écouté en elle, car voilà ce qu’il aime, ce qu’il recherche, ce qui l’attire et le retient, ce qui le lie et l’oblige à notre égard. Ce regard de Dieu sur l’âme qui se fait toute petite devant lui, ce regard qui est communication de Lumière éternelle et d’Amour infini, quelle douceur et quelle force dans la prière ! C’est ce qui soutenait la Cananéenne aux pieds du Sauveur et le centurion en quête d’un miracle. Jésus se rendait à leur supplication qui lui arrachait comme de vive force le prodige demandé et son admiration ravie.
L’humble qui prie se présente avec la force attractive du vide pour l’Être qui veut l’occuper. Nulle résistance à briser, nulle présence à éliminer, nulle transformation à opérer. Il n’y a qu’à entrer, prendre la place, répondre à une attente et combler. »
(Écrits spirituels, tome 1, page 29-32)