Les interventions de Dieu le Père sont rarissimes dans l’Évangile. On en dénombre trois : lors du baptême de Jésus au Jourdain (Marc 1, 9-11), lors de sa transfiguration sur la montagne (Matthieu 17, 1-9) et à Jérusalem, la veille de sa passion, (Jean 12, 27-30). Si la première intervention s’adresse avant tout à Jésus (et secondairement à Jean qui le baptise), les deux suivantes s’adressent aux différents spectateurs : soit les trois apôtres qui l’accompagnent, soit la foule qui l’entoure. En ce deuxième dimanche du Carême, la liturgie nous présente le récit de la Transfiguration de Jésus en vue de faire contre-poids aux horreurs de la passion à venir : transfiguration pour mieux supporter la défiguration !
Comme il fallait si attendre, cet épisode évangélique haut en couleur a fait le bonheur des artistes au cours des siècles. Malheureusement pour nous croyants, la très grande majorité des peintres s’est uniquement intéressée au début de la vision (luminosité du visage et des vêtements, présence mystérieuse d’Élie et de Moïse) en oubliant l’essentiel, soit l’intervention et les paroles même du Père qui désignent Jésus comme nouveau législateur « Celui-ci est mon Fils … écoutez-le« . Car ces paroles, notons-le, sont prononcées en présence de Moïse, considéré jusqu’alors comme le législateur par excellence. Difficile pour un chrétien d’aujourd’hui de se mettre dans la peau de ces trois galiléens qui, tout en étant émerveillés de la transfiguration elle-même, n’ont été saisis de frayeur qu’à la vue de la nuée lumineuse qui les recouvrit (à la toute fin de la vision) et surtout à l’écoute de la voix venant de cette nuée : « Et ayant entendu, ils tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte » (Matthieu 17,6). Pour eux, comme pour leurs coreligionnaires nourris des Écritures, il s’agissait sans aucun doute d’une théophanie, d’une manifestation du Dieu d’Israël ! Et cet Être divin leur enjoignait de donner prépondérance à l’enseignement de Jésus sur celui de Moïse : « Écoutez-le ! ». Avertissement salutaire et prophétique pour une future Église appelée à s’ouvrir à une chrétienté non-juive et à mettre de côté tôt ou tard la circoncision ainsi qu’une multitude de prescriptions mosaïques.
Finalement, et au grand dam des artistes en cause, il faut bien reconnaître que ceux-ci se sont drôlement fourvoyés en attribuant faussement cette prostration des apôtres au phénomène de la transfiguration alors que le texte biblique n’y parle que d’un étonnement de leur part et de quelques paroles de Pierre sur l’opportunité de construire des tentes pour les visiteurs. Erreur de parcours sans doute ; mais il est vrai que les compositions artistiques, même grandioses, ne sauraient remplacer la lecture toute simple du texte évangélique !
CONCLUSION: même si la transfiguration physique du Christ a inspiré à bon droit une production artistique intéressante ainsi qu’une non moins abondante littérature spirituelle sur la déification de l’âme du croyant, il n’en reste pas moins que la fine pointe de ce récit se résume à une déclaration solennelle de la part de Dieu sur le rôle de Jésus comme législateur : « Écoutez-le ! ». L’apôtre Pierre, dans sa deuxième lettre pastorale, n’hésitera pas à revenir sur cet événement historique en soulignant l’importance de cette prise de parole du Père: « Cette voix, nous l’avons entendue ; elle venait du Ciel, nous étions avec lui (Jésus) sur la montagne sainte » (2 Pierre 1, 18).