La Trinité des Personnes divines (Andreï Roublev)
Dans un de ses livres, le jésuite Bernard Lonergan fait allusion à la foi du peuple chrétien qui, d’après lui, glisse souvent dans l’erreur (à son insu) en confessant, comme il se doit, un Dieu en trois Personnes mais en les traitant, en pratique, comme trois Dieux! Je dois avouer qu’après 55 ans de vie sacerdotale … il m’arrive quelque fois, non de penser mais d’agir ainsi; je prie le Père comme s’il était un tiers de la Divinité, et je fais inconsciemment la même chose pour Jésus et pour le Saint Esprit. De sorte que le Dieu de l’Ancien Testament risque de m’apparaître, du moins au niveau de mon subconscient, comme plus grand et plus complet que le Dieu Père des chrétiens. La révélation du Nouveau Testament nous a mis devant un Mystère qui dépasse évidemment tout entendement, à savoir celui d’un Dieu en trois Personnes. En tant qu’Être créateur et éternel, Dieu est déjà assez mystérieux pour les Juifs et les Musulmans … mais que dire pour nous les chrétiens?
Avouons qu’au long des âges, les artistes chrétiens (reflétant la foi populaire) ont exercé malgré eux une influence non minime sur cette façon d’exprimer le mystère trinitaire. Soit dit en passant, les Musulmans aussi bien que les Juifs se défendent absolument de représenter Dieu en image, conscients du fossé qui les sépare du Très-Haut. Pour nous chrétiens, l’Incarnation du Verbe a balayé en quelque sorte les scrupules en ce domaine mais la représentation artistique de la trinité des Personnes divines demeure, à mon humble avis, une pierre d’achoppement. Au 15e siècle, le moine russe Andreï Roublev nous a donné des chefs d’œuvres d’art byzantin, en particulier son icône de la Trinité (affichée plus haut). En représentant l’apparition de Dieu à Abraham sous les traits de trois voyageurs (Genèse 18), Roublev n’a fait que reprendre un thème développé par d’autres artistes mais avec la finesse qu’on lui connaît. Ceci dit, si le mystère de la distinction des personnes y est bien représenté, par contre celui de leur unité ineffable ne dépasse pas l’allusion: on voit mal en effet que le Père soit dans le Fils, le Fils dans l’Esprit, etc. D’où l’impression, à première vue, d’être en présence de trois Dieux … même s’ils se regardent avec amour et semblent se compléter!
Il ne fait aucun doute, par ailleurs, que l’Église ne se trompe pas en nous proposant la doctrine qu’elle a reçu des Apôtres, à savoir qu’il existe en l’unique Dieu de la Révélation biblique trois personnes bien distinctes mais subsistant en une seule nature divine. Jésus l’affirme sans ambages à son apôtre Philippe: « Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi? » (Jean 14,10) et ce Père en question est bien le Dieu d’Abraham, celui qu’on entend parler en présence de Moïse et d’Élie lors de la transfiguration de Jésus sur la montagne: « Celui-ci est mon fils bien-aimé, écoutez-le.» (Marc 9,7)
Personnellement, je crois que ce mystère est et sera toujours le Grand Mystère. Aucun artiste ne pourra jamais nous représenter ce mystère de façon satisfaisante: l’unité ou la trinité des Personnes risquant de l’emporter au détriment de l’autre aspect. La solution la plus humble et la plus simple est peut-être la suivante: s’efforcer de vivre notre vie nouvelle dans l’éclairage de la foi de l’Église, elle qui dans sa liturgie nous fait toujours prier le Père par le Fils dans l’Esprit Saint. Laissons à Dieu le soin de nous faire grandir dans cette connaissance imparfaite de Lui-même en attendant le jour bienheureux de la vision face à face. D’ici là, aimons redire souvent avec l’Église:
« Par lui, avec lui et en lui, à toi Dieu le Père tout-puissant dans l’unité du Saint Esprit, tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles. Amen » (Conclusion de la Prière eucharistique de la messe)