La fête de la Très Sainte Trinité, si elle est mal abordée, peut devenir un cauchemar pour tout prédicateur bien intentionné. Si l’on s’arrête au casse-tête insurmontable de l’existence de trois personnes en un seul être … on ne peut que se perdre dans les dédales d’un raisonnement stérile. En nous présentant cette fête aujourd’hui, l’Église n’a aucunement l’intention de nous faire comprendre un mystère incompréhensible mais, bien plutôt, d’en vivre!
Mais tout d’abord, rappelons-nous que Jésus n’est pas venu fonder une nouvelle religion mais uniquement accomplir les promesses de Dieu faites à Israël. Jésus est né Juif et de religion juive; il a toujours été fier d’être membre du Peuple choisi et n’a jamais renié ses racines. S’il a critiqué les abus religieux de son temps, c’était par amour pour Dieu et pour ses congénères. Il est mort et ressuscité pour le salut de tous mais, avant tout, pour ses frères et sœurs juifs. L’apôtre Pierre s’adressant aux habitants de Jérusalem (le jour de la Pentecôte), ne pouvait être plus clair : « c’est pour vous (les Juifs) qu’est la promesse, ainsi que pour vos enfants et pour tous ceux qui sont au loin (les non-Juifs), en aussi grand nombre que le Seigneur notre Dieu les appellera » (Actes 2, 39). Il est vrai que, par la suite, beaucoup de Juifs vont refuser d’accepter Jésus comme Messie et ils iront même jusqu’à persécuter les premiers chrétiens pour ensuite les expulser officiellement de la Synagogue, vers les années 90, lors d’une assemblée générale à Jamnia. Au dire de saint Paul, les Juifs se sont eux-mêmes coupés inconsciemment de la racine sainte pour que les païens convertis puissent y être greffés mais leur retour est néanmoins prévu dans un avenir éventuel (Romains 11, 1-36). Notre religion chrétienne est donc en pleine continuité avec la religion vécue durant des siècles en Israël, religion nourrie par les prophètes, puis accomplie, purifiée et simplifiée par le Christ avant d’être prêchée par les Apôtres sous la mouvance de l’Esprit Saint.
Ceci étant dit, la révélation progressive de l’existence des trois Personnes divines (Père, Fils et Esprit Saint) ne saurait être vue comme une nouveauté radicale mais bien plutôt comme l’épanouissement d’un processus normal. La lecture des derniers livres de l’Ancien Testament (Proverbes, Ben Sira et Sagesse, entre autres) nous laisse en effet percevoir une évolution certaine de la pensée religieuse quant à la préexistence mystérieuse auprès de Dieu d’une Sagesse qui tantôt s’apparente au Verbe tantôt à l’Esprit. Le quatrième évangile (écrit vers la fin du 1er siècle) ne pourra que porter à terme cette révélation en parlant clairement de la divinité et de Jésus et de l’Esprit. L’Église du 4e siècle, confrontée à certaines hésitations doctrinales, énoncera clairement le contenu de la Foi : « Un seul Dieu en trois Personnes » (Concile de Nicée, en 325, et celui de Constantinople, en 381).
Et maintenant, comment pouvons-nous vivre de ce mystère ineffable de la Très Sainte Trinité ? Tout simplement à la façon des justes de l’Ancien Testament (amour de Dieu et amour du prochain) mais avec une connaissance plus précise de nos liens avec les trois Personnes divines grâce à une intensité de vie extraordinaire : la vie dans l’Esprit! Même s’il opérait silencieusement depuis toujours dans les membres du Peuple élu, l’Esprit Saint ne le faisait qu’en lien avec des lois écrites et non comme Loi intérieure gravée dans le cœur des croyants. Grâce à cette Onction qui désormais les habite, les Chrétiens comprennent mieux les Écritures, la personne du Christ, sa relation avec le Père, et l’héritage qui les attend au Ciel. Si Jésus de Nazareth n’est pas venu fonder une nouvelle religion, il a su par ailleurs mener à son accomplissement le potentiel insoupçonné de la religion révélée aux enfants d’Abraham. Au niveau organisationnel, il est également vrai que, comme le vin nouveau requiert de nouvelles outres, ce nouvel Esprit, en regard des institutions mosaïques, ne pouvait qu’exiger un cadre totalement renouvelé, soit l’Église.
Vivons donc en paix, chers amis, car nous sommes dans la bonne voie et la bonne religion : « Il n’y a qu’un Corps et qu’un Esprit, comme il n’y a qu’une espérance au terme de l’appel que vous avez reçu; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême; un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, par tous et en tous. » (Éphésiens 4, 4-6)