Les voies de Dieu nous dépassent facilement mais il n’est pas défendu de les scruter pour en découvrir, si possible, quelques richesses. Ainsi, un rapide survol des derniers pontificats romains nous dévoile une alternance de papes qui se complètent: pape intellectuel et pape pragmatique, pape contemplatif et pape engagé, pape traditionnaliste et pape innovateur. Dans la réalité quotidienne, remarquons néanmoins que tous et chacun de ces pontifes exercent cette double activité de Marthe et de Marie, mais chacun selon son charisme et à des degrés divers.
Eugène Pacelli, Pie XII (1939-1958), fut le pape de mon adolescence. Figure éloignée et hiératique, auteur d’une quarantaine d’encycliques en plus d’innombrables documents et discours; pape de la seconde guerre mondiale, fin diplomate même si quelquefois incompris, mais avant tout le pape de l’Année sainte (1950) et du dogme de l’Assomption de la Vierge. Son successeur Jean XXIII (1958-1963), d’origine très modeste, semble avoir été choisi pour faire le contre-poids à la vision pyramidale et quelque peu triomphaliste de l’Église d’alors … ce qu’il fit magistralement en convoquant un concile œcuménique avec pour but avoué de mettre à jour une institution en mal de réformes. Étudiant à Rome, j’ai eu le bonheur de voir plusieurs fois le bon pape Jean. Figure sympathique et attachante, il décède malheureusement du cancer en 1963. Avec le pape Montini (Paul VI, 1963-1978), ancien collaborateur de Pie XII, nous revenons à ces papes intellectuels et visionnaires. Sa principale tâche sera de faire atterrir la fusée lancée par son prédécesseur: tâche ingrate de mise en place de réformes, voulues par les pères conciliaires mais quelquefois mal reçues par les fidèles. Malgré le rayonnement indubitable de ses nombreux voyages internationaux, Paul VI souffrit intensément tant de l’impopularité de certains documents pontificaux sur la vie conjugale que de l’importante hémorragie de défections cléricales et religieuses des années soixante-dix. Après le règne éphémère de son successeur immédiat (Jean-Paul I), ce fut le retour aux papes populaires avec le polonais Karol Woytila (Jean-Paul II, 1978-2005) dont le jeune âge (58 ans) et le très long règne (27 ans) facilitèrent la conduite à terme des tâches rénovatrices de ses prédécesseurs.
Avec l’élection du cardinal Ratzinger (Benoît XVI, 2005-2013), l’alternance enrichissante des papes se réalise encore une fois. Cardinal de curie, théologien et écrivain prolifique, le pape Ratzinger ne cesse d’écrire: trois encycliques, dont deux d’entre elles portent sur les vertus théologales, ainsi que de nombreux documents (y compris ses écrits personnels sur « Jésus de Nazareth »). Pape conservateur, il s’efforce d’unir autant que possible les courants liturgiques divergents qui subsistent depuis Vatican II. La révélation d’abus sexuels dans le clergé lui voit bien prendre des décisions intransigeantes mais le travail de réforme qui en découle semble dépasser ses forces et il démissionne (au grand étonnement de toute la chrétienté) en février 2013, à l’âge de 85 ans.
À ce pape plutôt traditionaliste succède un archevêque argentin, très près de son peuple, le cardinal Jorge Bergoglio (François, 2013- ), premier jésuite à être élu au siège romain. Il ne tarde pas à montrer ses couleurs dès son élection en prenant le nom du poverello d’Assise. Dédaignant le traditionnel camail rouge, il se présente à la loggia de la place Saint-Pierre en simple soutane blanche pour donner sa première bénédiction apostolique. Par la suite, il prendra la décision, pour le moins étonnante, de demeurer à la résidence Ste-Marthe, délaissant les appartements pontificaux, les séjours d’été à Castel Gandolfo et autres regalia d’usage. Homme d’action, François s’attaque résolument à divers problèmes tant internes (bureaucratie de la Curie romaine et synodalité dans l’Église) qu’externes (relations avec les autres religions et besoins humanitaires de la planète). François s’avère pour certains un pape dérangeant … néanmoins il ne cesse d’aller de l’avant en toute fidélité à son importante charge.
Les comparaisons sont souvent odieuses, dit l’adage. L’alternance enrichissante des pontifes romains n’est pas toujours bien comprise et appréciée du commun des mortels. Le manque de foi est souvent la cause de réactions négatives face à une Autorité dont les décisions surprennent. « J’ai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères » (Luc 22, 32). Merci, Seigneur, pour tous ces papes qui se succèdent généreusement, depuis 2000 ans, aux commandes de la barque de Pierre.