Après avoir accompli, au nom de l’humanité, sa démarche pénitentielle au Jourdain et y avoir reçu un double baptême (d’eau et d’Esprit Saint), à quoi Jésus pouvait-il s’attendre? Une mort sacrificielle à brève échéance? Un long apostolat du genre prophétique? Voici plutôt que l’Esprit le pousse au désert et lui procure, contre toute attente, un temps de solitude et d’approfondissement. Car les paroles entendues au Jourdain « Tu es mon fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute ma complaisance » résonnent encore aux oreilles du charpentier de Nazareth ; elles s’avèrent une approbation officielle de son projet de salut universel. Dieu approuve sa démarche … en plus de lui conférer l’Esprit Saint, l’habilitant à accomplir cette tâche.
La solitude désertique sera donc pour le Christ le lieu providentiel pour approfondir sa mission. Sa connaissance intime des saintes Écritures (on pense à l’intérêt qu’il y portait déjà, à l’âge de douze ans, au Temple de Jérusalem) tout comme sa mémoire humaine phénoménale lui permettront une méditation biblique continuelle qui se reflétera dans sa joute oratoire avec le Tentateur (Deutéronome 6 et 13 et psaume 91). Mais ces textes ne sont en fait que le pic de l’iceberg. On ne saurait passer sous silence les passages, entre autres, du prophète Isaïe concernant le Serviteur de Yahvé : plus spécialement Is 53 (qui inspira sa démarche au Jourdain) et Is 60 (qu’il commentera à son retour, à la synagogue de Nazareth).
« Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre… Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas … » (Luc 4, 1-13). N’allons pas sous-estimer l’astuce du Tentateur qui, conscient de l’importance de cette révélation de la filiation divine, s’y attaque immédiatement pour ébranler si possible cette conviction de Jésus. Il y reviendra sans doute tout au long du ministère public mais de façon plus intense au Golgotha par l’entremise des spectateurs « Si tu es Fils de Dieu, descends de la croix » . Jusqu’à quel point, ces paroles proférées par les passants, les grands prêtres, les anciens et les scribes auront pesé sur la dernière tentation du Christ, nous ne le saurons jamais … mais la plainte échappée du haut de la croix « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » pointe vers une terrible angoisse difficile à oublier. Celui qui voulait sauver le monde aura donc bu la coupe jusqu’à la lie! Néanmoins, et dans un dernier sursaut de confiance, c’est dans un acte de filial abandon que le Sauveur va conclure sa vie terrestre: « Père, je remets mon esprit entre tes mains! » (Luc 23, 46).Et, ce disant, il expira. La terre trembla, nous dit saint Matthieu et, à la vue du séisme et de ce qui se passait, le centurion et les soldats qui le gardaient, saisis d’une grande frayeur, ne purent qu’avouer : « Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu! » (Matthieu 27, 54)
« Qui perd, gagne » dit l’adage. Par un renversement providentiel des situations, le Tentateur du désert qui croyait pouvoir triompher du Messie par sa crucifixion, aura finalement perdu le combat de façon définitive et irrévocable!