Le Carême est avant tout un temps de conversion. Normal donc, pour la liturgie, de nous présenter aujourd’hui la parabole de l’enfant prodigue (Luc 15, 11-32). Mais si notre réflexion se porte tout naturellement sur le retour piteux du cadet et sur la bonté admirable du Père, avons-nous pour autant accordé au fils aîné toute l’attention qui lui convient ?
Personnellement, j’aime voir en Jésus le véritable frère aîné qui donne sa vie sur la croix pour le retour au bercail de ses frères et sœurs en humanité. C’est bien ! mais cela n’épuise pas pour autant l’importance du personnage de la parabole, le frère aîné, qui se présente comme la fine pointe du récit. Car dans la pensée de Jésus, cet homme tient la place de ces justes qui, tout en pratiquant le bien, voient d’un mauvais œil le bel accueil qu’il fait aux pécheurs repentis ; et c’est pourquoi il raconte précisément cette petite histoire à leur intention (Luc 15, 3). C’est dire que le personnage du frère aîné est central lui aussi et ne doit pas être négligé.
« Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi » (Luc 15, 31). Ces paroles, que le père adresse à son fils aîné pour le calmer de sa colère et l’inviter à la fête du retour, sont des plus réalistes et des plus réconfortantes. Les justes sont eux aussi invités à la fête des retrouvailles et, remarquons-le, sont loin d’être relégués à la dernière place : tout ce qui est à moi est à toi ! Dieu est juste dans ses décisions et n’ignore pas le dévouement quotidien de ceux et celles qui s’efforcent de vivre selon ses commandements. La nécessaire et pénible remontrance à eux adressée aujourd’hui n’annule pas pour autant leur orientation foncière, ni leurs efforts à vivre quotidiennement dans la fidélité. Et puis, soit dit en passant, ne rêvons pas en couleur : le cadet, revenu à la maison, devra lui aussi imiter son frère aîné dans le service quotidien et ce, malgré les souvenirs de sa triste escapade l’incitant peut-être à rejeter encore une fois le joug familial. Les deux frères ont encore du pain sur la planche !
« Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi ». Si le chemin qui mène au Salut est étroit, il n’en demeure pas moins un chemin consolant : justes ou convertis, rappelons-nous que nous ne sommes jamais seuls face à la vie ni oubliés de Dieu !
« Oui, mon cœur s’aigrissait, j’avais les reins transpercés.
Moi, stupide, comme une bête, je ne savais pas, mais j’étais avec toi.
Moi, je suis toujours avec toi, avec toi qui as saisi ma main droite,
Tu me conduis selon tes desseins; puis tu me prendras dans la gloire. »
(Psaume 73, 21-24)